Les ducs de Bourgogne Valois ont fondé, en un peu
plus d’un siècle, un quasi empire puissant et immensément riche qui fit trembler
les rois de France comme les empereurs d’Allemagne. Ils vivaient dans un luxe
inouï, s’entourant des meilleurs artistes de leur temps et d’une cour fastueuse.
Et de tout ceci, il ne reste rien, ou presque. Quelques tableaux illuminent les
salles du Louvre ou de la National Gallery, quelques manuscrits enluminés font
la fierté de grandes bibliothèques. L’empire s’est écroulé et une seule année et
trois batailles ont suffi. Oui, l’histoire du duché de Bourgogne est bien
passionnante et riche en rebondissements et en alliances trahies.
La couronne de France annexe la Bourgogne
Le début de notre histoire commence peut être à Poitiers le 19 septembre 1356. Ce jour là, les anglais infligent à la France une des pires défaites de son histoire :
non seulement l'armée est battue, la noblesse de France décimée, mais le roi Jean II
"le bon", symbole du pays, est fait prisonnier et partira en Angleterre en attendant que son énorme rançon soit payée.
Ce jour là, aussi, va naître un mythe. Celui du quatrième fils de Jean,
Philippe, âgé de 14 ans, qui combat aux côtés de son père (alors que certains de ses frères
quittent en hâte le champs de bataille) en l'alertant : "père, gardez-vous à
gauche, père, gardez-vous à droite". Comme beaucoup de phrases historiques,
on n'est pas très sûr de sa véracité. Peu importe : Philippe est courageux
et il recevra en récompense deux choses : d'abord son surnom de "hardi" et,
sept ans plus tard, (1363) le duché et le comté de Bourgogne. A cette
date, la Bourgogne est en effet sans héritier suite au décès de son jeune
duc lors d'une épidémie de peste. Bien évidemment le roi ne voulait pas uniquement récompenser son fils : mettre la main sur une province aussi
riche et étendue que la Bourgogne de l'époque ne se refuse pas, surtout
lorsque elle se situe à la frontière du royaume, soumise aux influences de
l'empire germanique.
Philippe le hardi (1342-1404) : premier duc Valois
Doté également d'une grande habileté politique, d'un goût
prononcé pour les oeuvres d'art, le jeune duc fait vraiment figure de
gendre idéal. C'est sans doute ce que devait se dire Louis de Maele
lorsqu'il lui offre la main de sa fille, Marguerite de Flandre. Le roi
de France peut ainsi souffler : un autre domaine échappe à ses
adversaires et les anglais qui avaient des vues sur la riche Flandre en
sont pour leur frais. Le jeune duc Philippe soutiendra activement son beau-père lors des premières révoltes des villes flamandes.
Il participe à la bataille de la Roosebecke en 1382 ou les insurgés sont écrasés.
A la mort de son beau-père, il prend les rênes des Flandres et y étend régulièrement son influence et l'étendue de ses possessions.
Il est également très présent à la cour de France où il sera un des
artisans de la paix avec l'Angleterre. En 1396, il finance une expédition contre les turcs à la demande du roi de Hongrie.
C'est son fils Jean qui la dirigera ... et qui devra subir une défaite cuisante à Nicopolis.
Jean sera fait prisonnier, libéré contre rançon et reviendra auréolé de prestige et du surnom de "sans peur".
Lorsqu'il meurt d'une grippe -déjà !- en 1404, il est à la tête d'un
immense et richissime duché. A Paris,
il est l'oncle du roi, et son influence politique est considérable. Il
s'y oppose régulièrement à l'autre oncle du roi, Louis d'Orléans. Même
si il a cherché à acquérir plus de pouvoir et de territoire, il est
resté, toujours, un "prince des fleurs de lys", dévoué à son roi. Ce ne sera pas toujours le cas des ses successeurs.
Jean sans peur (1371-1419): du sang et des larmes
Dés son accession au duché, Jean est confronté à son cousin
Louis d'Orléans. Autant pour des raisons de prestige que financières
(une grande partie de ses revenus est donnée par le roi), il tente
de retrouver l'influence que possédait son père à la cour de France.
De son côté, le roi, Charles VI sombre lentement dans la folie,
laissant libre court à la haine des deux hommes et à leur lutte pour le pouvoir.
Les deux cousins s'opposent dans presque tous les
domaines : Jean prend comme emblème l'ortie pour en frotter son
cousin qui adopte alors le bâton noueux qui lui permet
de rosser ses ennemis ; Jean réplique avec un rabot pour aplanir le
bâton (Ce rabot sera complété plus tard par des étincelles pour
donner le briquet, emblème de la toison d'or). Une escalade qui se
retrouve aussi dans la rue. Leurs partisans se
battent dans Paris avant que le conflit n'éclate au
grand jour : Jean fait assassiner son cousin rue vieille du temple
le 23 novembre 1407. C'est le début d'une guerre civile entre Armagnacs et
Bourguignons.
Le fils de Louis, Charles d'Orléans s'allie au
puissant parti des Armagnacs et rentre dans la lutte armée tandis que
l'Angleterre joue les arbitres -intéressés- . On va s'arracher Paris, le roi
fou et le dauphin dans une folle partie de chaises musicales. En 1415,
l'armée royale, principalement constituée par les armagnacs, est envoyée
contre les anglais qui ont débarqué en Normandie et tentent de rallier
Calais. Elle les rencontre à Azincourt et s'écroule face aux archers godons.
Un désastre de plus à ajouter aux malheurs du temps.
Le pays est à genoux et le dauphin demande à rencontrer Jean sans peur
dont la puissance militaire est maintenant considérable : il est resté
neutre face aux anglais qui se placent maintenant comme les héritiers du
trône de France. Cette entrevue se déroulera au pont de Montereau le 10
septembre 1419. Le dauphin va y faire assassiner le duc qui trouve ainsi une mort conforme à sa vie tumultueuse.
Philippe le bon (1396-1467) : l'apogée de la puissance
Philippe, son fils, devient donc duc à 23 ans. Même si il a été préparé à
ce rôle très tôt par son père qui lui confie des fonctions politiques
dés l'âge de 12 ans, ce décès est dur à encaisser. L'assassinat de Jean
sans peur jette le jeune duc vers une triple alliance avec Charles VI, roi
de France et Henri V d'Angleterre contre le dauphin (traité de Troyes en 1420).
Les choses semblent mal engagées pour le dauphin Charles. Coup de théâtre en
1422 : le roi d'Angleterre meurt de dysenterie dans la force de l'âge.
L'arrivée de
Jeanne d’Arc qui galvanise ses troupes au siège de Rouen en 1429 marque le
début des succès français dans cette guerre. Elle fait couronner le dauphin
à Reims qui devient roi sous le nom de Charles VII.
Sentant le vent tourner, Philippe le bon pense à s'éloigner de son ancien
allié, le roi d'Angleterre. Il commence par refuser le prestigieux ordre
anglais de
la jarretière pour éviter tout conflit ultérieur. Puis, à l'occasion de
son mariage en 1429 avec Isabelle de Portugal, il crée l’ordre de la
Toison d’or. Ce troisième mariage lui donnera son seul enfant légitime en 1433 : Charles,
comte de Charolais. Malgré la capture et l'exécution de Jeanne à Rouen,
Charles VII va reprendre le contrôle du
royaume et signer avec la Bourgogne la paix d'Arras en 1435. Philippe le bon le reconnaît comme roi légitime mais
garde certains territoires confisqués pendant la guerre. Les anglais sont
furieux mais doivent se rendre à l'évidence. Philippe se consacre alors à la politique intérieure,
Il met en place une administration compétente et zélée dont le chef et
l’exemple le plus frappant est le chancelier Nicolas Rollin. Il réforme les finances publiques
et tente de restreindre les libertés des grandes villes des Flandres. Cette
réforme lui vaudra d'échapper de justesse à la révolte de Bruges
(1436-1437). Il reprend le contrôle de la ville et continue l'expansion du
duché : après l'achat du duché de Brabant, il se fait
céder le duché de Luxembourg en 1441, qu’il ira conquérir en 1443. En
1452 ce sont les gantois qui se révoltent. Philippe, aidé de son fils
Charles, les écrase à Gavere un
an plus tard. La chute de Constantinople, en 1453 remet la croisade à
l'ordre du jour. Philippe organise un banquet somptueux, connu sous le nom
de "banquet du faisan" où une bonne partie de la cour, dont de nombreux
chevaliers de la toison d'or, promet de partir en croisade pour reconquérir
la ville tombée entre les mains des turcs. Malgré l'enthousiasme et les
serments passionnés, la croisade ne verra jamais le jour. En 1456, le dauphin Louis (futur Louis
XI) se révolte contre son père et fuit Paris. Il est accueilli
somptueusement par le duc de
Bourgogne. Mauvaise idée : Suivant son exemple, Charles, le comte de
Charolais, se
rebelle contre la prédominance de la famille des Croy et quitte la
cour bourguignonne. La réconciliation avec son père n’aura lieu qu’en 1464, pour la guerre
du bien public contre le dauphin devenu roi de France (bataille de Montlhéry).
Le 15 juin 1467, le duc Philippe le bon s'éteint à Bruges. Il a 71 ans et
laisse l’image d’un homme pieux, ayant aimé la chasse, l'art et les femmes (24 maîtresses officielles dénombrées et 18
bâtards et filles illégitimes).
Charles le téméraire ou le hardi (1433-1477) : la fin des Valois
Le nouveau duc est travailleur, organisé et beaucoup moins intéressé par la gente féminine que son père.
L'armée bourguignonne sous son commandement n'a remporté que des victoires (ou
arraché un "match nul" comme à Montléry) et, même si on note la sauvagerie des répressions qui
s'ensuivent, les contemporains sont admiratifs. L'avenir se présente donc bien pour le duché ! En fait
l'obstination et l'arrogance du nouveau duc vont amener sa chute et
celle de son apanage.
A la mort de Philippe, Charles tente de rallumer le conflit entre la France
et l'Angleterre. Il rêve en effet de rassembler ses possessions éparpillées
en un empire puissant. Pour ce faire, il cherche à s'allier tour à tour à
Édouard IV d'Angleterre et à l'empereur d'Allemagne Frédéric III. Mais il a,
face à lui, le roi Louis XI ou "universelle aragne". Le roi de France soutient financièrement toutes les révoltes
en terre bourguignonne.
C'est ainsi que la ville de Liège se soulève en 1467. Charles écrase la
rébellion une première fois. L'année suivante, le duc de Bourgogne rencontre le roi de France à Péronne, lorsque
il apprend que la ville s'est de nouveau soulevée.
Il s'empare du roi de France et l'emmène avec lui mater les liégeois une
seconde fois. La victoire qu'il remporte est suivie d'une mise à sac de la
ville. Le roi de France repart alors après avoir signé un traité
désavantageux. Charles,naïf, pense triompher. En fait, le roi va dénoncer le
traité signé sous la contrainte tandis que les régions menacées par
l'expansionnisme du téméraire commencent à chuchoter contre ce futur maître
trop sévère.
En 1474, le duc met le siège devant la ville de Neuss ; il est contraint
de le quitter dix mois plus tard face à l'empereur Frédéric. Il a maintenant
affaire avec le duc de Lorraine qui le défie ; il se dirige vers la Lorraine
et manque un "rendez-vous" avec Édouard IV qui vient de débarquer à Calais.
Ils devaient tout les deux se joindre au duc de Bretagne pour attaquer Louis
XI. Le roi d'Angleterre abandonne alors son allié bourguignon : ce sera la
signature du traité de Picquigny (1475) avec la France qui met fin à la
guerre de cent ans. Louis XI a maintenant les mains libres.
Charles, furieux, a envahi la Lorraine et est entré dans Nancy le 30
novembre 1475. Mais la révolte gronde : l'Alsace s'est soulevée tandis que
les suisses s'attaquent à son allié, le duc de Savoie. Le roi de France,
patiemment, signe les traités qui isolent Charles et finance toute
opposition au duc.
Le duc de Bourgogne rassemble son armée et marche sur les confédérés
suisses. Il est sûr de la valeur de ses troupes modernes et expérimentées
face aux milices communales suisses. Il s'aventure jusqu'à Grandson où les
carrés de piquiers provoquent une première débandade (2 mars 1476). Il reforme
son armée, notamment grâce aux mercenaires italiens, et met le siège devant
Morat. Les confédérés le surprennent et l'écrasent le 22 juin 1476. Ces deux
défaites consécutives vont mettre le feu aux poudres : la Lorraine se
soulève et Nancy est reprise par le duc de Lorraine.
Charles est contraint de rassembler une nouvelle armée et met -de
nouveau- le siège devant Nancy. L'hiver est rigoureux et les troupes
bourguignonnes fondent comme neige au soleil. Le 5 janvier 1477, les troupes
réunies de Lorraine et de Suisse, financées par Louis XI, tombent par
surprise sur les partisans du duc. Le désastre est amplifié par la traîtrise
d'un condottiere italien, Campobasso, qui s'est joint aux lorrains et
massacre ses anciens compagnons d'arme. On retrouvera le corps du duc de
Bourgogne le lendemain à côté d'un étang gelé. Son visage, à moitié mangé
par les loups est méconnaissable. C'est ainsi que finit le grand duc
d'occident, puissant parmi les puissants.
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