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Le grand armorial et l'ordre de la Toison d'or


Un armorial, késako ?

Il s'agit d'un recueil d'armoiries. A l'époque qui nous intéresse, c'est un manuscrit (écrit et dessiné à la main, donc) utilisé par un héraut d'armes comme outil de travail. Ce recueil est mis à jour progressivement : si le héraut se déplace dans une contrée lointaine, à l'occasion d'une fête, d'une ambassade diplomatique, il dessinera les armoiries locales. De la même manière, si des seigneurs étrangers rendent visite à son seigneur, il complètera son recueil.
On connaît même des armoriaux réalisés pour une occasion précise : mariage d'un prince, tournoi particulier.

Et un héraut d'armes, alors, c'est quoi ?

C'est un spécialiste des armoiries au service d'un seigneur puissant : roi, prince ou duc. C'est lui qui officie lorsque le seigneur organise un tournoi. Il porte les défis aux autres seigneurs, organise les rituels de présentation des armoiries de chaque chevalier, commente une action d'éclat. Son rôle dans ces conditions est parfaitement décrit dans le "livre des tournois du roi René" (voir ma "biblio"). Au soirs des grandes batailles, il a le triste privilège d'arpenter le champ de bataille pour relever les armoiries des morts en priant pour ne pas y trouver celles de son seigneur. Lorsqu'il prend son office, le héraut prend un pseudonyme, le plus souvent en rapport avec le seigneur qui l'emploie ou avec sa province. Sous Philippe le bon, le héraut, Jean Lefèvre de Saint-Rémy, se nomme "toison d'or" à la cour de Bourgogne après 1430.


Sans doute le dessin de héraut le plus connu : il est tiré du "livre des tournois du roi René" et vous pouvez l'admirer sur le site de la Bnf (voir mes "liens") : il faut taper "Français 2692" dans la fenêtre de recherche.

Vous avez dit "toison d'or"?

Philippe le bon crée un ordre de chevalerie, en janvier 1430, au milieu des fêtes données pour célébrer son mariage avec Isabelle du Portugal. Ce sera "l'ordre des chevaliers de la toison d'or". Il  nomme auprès de lui vingt trois chevaliers "gentilshommes de quatre côtés" (aux quatre quartiers de noblesse), atteignant ainsi le chiffre de vingt quatre, chiffre sacré. Il désigne également quatre officiers : un chancelier(détenteur du sceau de l'ordre), un trésorier(gérant les deniers de l'ordre), un greffier(responsable des archives) et un roi d'arme(responsable du cérémonial et des usages héraldiques). Les statuts seront publiés lors du premier chapitre de l'ordre qui se tiendra le 30 novembre de l'année suivante, jour de la saint André, à Lille.

Pourquoi un ordre de chevalerie?

En fondant cet ordre, Philippe le bon peut avoir plusieurs objectifs en tête :
  • Prestige : Fonder un ordre est réservé aux rois ou aux princes importants. Cette fondation coïncide d’ailleurs avec son mariage avec Isabelle de Portugal, la fille d’un roi. Par cet acte, il affirme sa place entre le roi de France et le roi d’Angleterre (chef de l’ordre de la jarretière). Chaque chapitre de la toison d’or sera une occasion d’étaler la munificence des ducs de Bourgogne. 
  • Politique extérieure : En cette fin de guerre de cent ans, Philippe est en train de penser sérieusement à retourner son alliance : laisser le parti anglais pour celui du roi de France. Grâce à la toison d’or, il peut décliner l’offre de la Jarretière faite par le roi d’Angleterre. S’il avait accepté, les clauses de cet ordre de chevalerie l’auraient obligé à embrasser plus étroitement le parti anglais.
  • Politique intérieure : Son duché qui s’étend de la Saône à la mer du Nord est composé au sud d’une partie francophone ( le duché et le compté de Bourgogne) et au nord de la Hollande et des Pays-Bas qui sont néerlandophones. En créant un ordre qui rassemble des nobles de ces deux entités, Philippe crée une élite de soldats à son service et rassemble des « frères d’armes » que tout sépare : culture et langue.
  • Idéaux : La bataille d’Azincourt en 1415 a sonné le glas de l’idéal chevaleresque : les archers anglais ont vaincu la fine fleur de la chevalerie française. Bientôt les Suisses vont prendre le relais et imposer l’infanterie comme « reine des batailles ». Désormais la guerre va se faire à distance et à mort, alors qu’il s’agissait pour la noblesse de prouver sa valeur au corps à corps en faisant des prisonniers (pour en tirer rançon). Philippe qui est cultivé (sa bibliothèque comporte beaucoup de romans de chevalerie) fonde sans doute son ordre pour défendre cet idéal qui jette ses derniers feux.
  • Défense de la chrétienté : jusqu'à la fin de sa vie, Philippe souhaitera organiser une croisade pour délivrer les Lieux Saints. La création d’une élite de chevaliers n’est certainement pas étrangère à ce désir profond. Les statuts de l’ordre mettent d’ailleurs l’accent sur son caractère religieux : messe lors de chaque chapitre (les réunions de l’ordre), siège de l’ordre dans la chapelle du palais des ducs à Dijon.
  • Magie ? : cette époque est fascinante par ses contrastes. La science est toute neuve, le fossé avec la magie encore indistinct. Un contemporain du duc Philippe, Gilles de Rais, sera condamné pour avoir pratiqué la magie noire. Il donnera plus tard naissance au mythe de Barbe Bleue. Même si la réputation du duc de Bourgogne est beaucoup moins « sulfureuse », certains se sont demandé si le nom incongru de l’ordre ne serait pas lié à l’alchimie. La quête de la toison d’or peut en effet être lue comme une allégorie alchimiste de la recherche de la pierre philosophale .
  • Quels sont les principaux symboles de l'ordre ?

  • Le collier offert par le duc à chacun des chevaliers est un chef d'oeuvre d'orfèvrerie. On a même évoqué le nom du peintre Van Eyck à propos de sa réalisation. Il est « moult gentiment ouvré à sa devise, c'est à savoir du fusil. Et à chacun de ces colliers pendait sur le devant, de la même manière que les dames ou demoiselles portent images, fermaux et autre joyaux, une toison d'or en souvenir de la toison que jadis Jason conquit anciennement en l'île de Colchos, comme on le trouve par écrit en l'Histoire de Troie.» Ce collier appartenait à l'ordre et devait lui être rendu à la mort du chevalier.
  • L'habit : «robes vermeilles, fourrées de gris (fourrure d'écureuil gris argenté), longues jusques dessous les genous, et par dessus, grands et longs manteaux de la dite couleur, de fine écarlate, bordées de riches orfrois (broderies) de fin or, grands et larges et ouvrés à la façon de fusils, comme le duc les porte. Et étaient fourrées de menus vairs, moult richement. Et par dessus, ils portaient chaperon de pareil drap, à longues coquilles, doublées à l'usage ancien ; et par dessus ces habits, ils portaient le collier du dit ordre, à découvert.»
  • Jason : la redécouverte des auteurs grecs commence, dans un courant qui amènera la renaissance. La légende de Jason n'est alors connue en Occident qu'au travers d'un ouvrage de Guido delle Colonne datant du XIII ème siècle. Jason y triomphe de nombreux monstres en se faisant aider de Médée, la fille du roi de Colchide, magicienne et amoureuse de lui. Il s'empare alors de la toison d'or et ... abandonne Médée à son triste sort malgré sa promesse de mariage. Ce personnage païen, utilisant la magie et déloyal envers Médée constituait une image douteuse pour un ordre chrétien !
  • Gédéon : pour remédier à cet état de fait, Jean Germain, le premier chancelier de l'ordre lui adjoint Gédéon, beaucoup plus "consensuel". Ce personnage biblique (livre des Juges VI, 36) est un pauvre paysan désigné par Dieu pour mener les juifs à la bataille. Il hésite et, pour être bien sûr qu'il est désigné par Dieu, il demande à celui-ci de déposer la rosée sur la toison d'un mouton mais pas sur le sol environnant ; puis la nuit suivante sur le sol en laissant la toison sèche. On retrouve donc la fameuse toison, mais au service d'un personnage plus recommandable : humble, croyant et chef de guerre victorieux !
  • Pourquoi l'armorial de la toison d'or est-il le plus beau ?

    Maintenant que nous savons ce qu'était l'ordre de la toison d'or, revenons-en à notre manuscrit !
    Ce qui le différencie des autres armoriaux, ce sont les figures équestres et l'éblouissante virtuosité de l'artiste qui les a dessinées.
    L'armorial est actuellement constitué de deux parties : d'abord un recueil classique, classé par marche d'armes, c'est à dire par provinces, chaque marche étant précédée d'une pleine page représentant son seigneur. Ce seigneur est représenté sous forme de figure équestre, c'est à dire qu'il est en grande tenue de joute, ses armoiries soigneusement dessinées sur le caparaçon de son cheval et sur son tabard. Le cimier qui surplombe son casque est également minutieusement décrit. On compte en tout 45 grands personnages, aussi bien rois que seigneurs laïques ou ecclésiastiques.

    Le comte d'Artois en ouverture de la marche : sur la page en regard on peut remarquer quatre noms sans armoiries : sans doute, le héraut ne connaissait-il pas -du moins pas assez précisément- les armes des seigneurs. Également remarquable : les armoiries des sires de Crequy, de saint Pol et de Brimeu qui apparaissent plus loin en tant que chevaliers de la toison d'or. L'Artois appartenait aux ducs de Bourgogne
    Dans cette première partie, les figures équestres correspondent rarement à un personnage en particulier. Par exemple, les armes de Bourgogne correspondent à celles utilisées avant que les ducs Valois ne prennent en charge le destin de la province, soit 70 ans avant la fondation de l'ordre. Quelques dessins ont été ajoutés ultérieurement et ...comment dire... on voit BIEN la différence (je pense au roi d'Écosse). On note également un certain nombre de planches à l'état d'ébauches ainsi qu'une qui est partiellement colorée.

    Dans une seconde partie, qui ne comporte que des figures équestres sont représentés 34 des premiers chevaliers admis dans l'ordre de la toison d'or, leur chef, Philippe le bon, en tête. Voici trois exemples tirés du site des éditions du Guy (je rappelle que vous pouvez leur commander des reproductions d'excellente qualité). Le plus dur a été de choisir. Les trois que je vous présente se retrouvent également dans la section photo de mon site. Vous pourrez ainsi comparer la figurine et son modèle.

    Jean V de Crequy. Il possède des armoiries "parlantes" car le meuble utilisé dans ses armoiries (l'espèce d'arbre rouge) est appelé Créquier en langage héraldique.

    Robert de Masmine. Le cimier est très impressionnant, la position du cheval me plait également beaucoup. Remarquer le collier de l'ordre à son cou.

    Le chef de l'ordre, enfin : Philippe III dit Le Bon, duc de Bourgogne. Le dessin est un peu moins enlevé mais le travail sur les armoiries est impressionnant.
    Ces deux parties n'étaient peut être pas reliées ensembles à l'origine : la reliure date du seizième siècle et les feuillets ont été sauvagement recoupés. On peut noter l'absence de trois chevaliers pourtant nommés. Jean de Montagu-Neuchatel, a été convaincu de couardise pour avoir fui face à l'ennemi à la bataille d'Anthon en 1430(voir la biblio), son absence est donc pleinement justifiée. Pour André de Toulongeon, mort avant d'avoir officiellement reçu le collier, passe encore. Par contre l'absence de Ruprecht de Vernenburg est étonnante, peut-être était-il figuré au dos d'un des deux chevaliers précédents.

    J'ai lu pas mal de choses sur l'armorial, mais ce qui me fascine le plus est le mystère qu'il dégage : on ne sait pas vraiment qui l'a réalisé (un atelier de Paris, un héraut d'armes seul ?) et on sait peu de chose sur son parcours après les guerres de Bourgogne. On n'est sûr de son parcours qu'à partir des années 1770 où il est entre les mains d'un grand collectionneur, le marquis de Paulmy.
    Du coup, je peux laisser libre court à mon imagination, penser à ce héraut réalisant un livre richement illustré pour apprendre à un jeune prince l'art de l'héraldique et les écus des grands de ce monde qu'il côtoiera bientôt. Penser à ces opulents seigneurs se bousculant pour admirer leurs effigies dessinées sur le vélin avant que ne s'ouvre solennellement un nouveau chapitre de l'ordre. Imaginer un héraut, au soir de la bataille de Nancy, serrant contre son coeur un manuscrit inestimable et fuyant la furie des suisses victorieux. Oui, décidément, l'armorial n'a pas fini de me faire rêver !

     




    © 26/01/2010 email: toison.d.or@free.fr